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Soif eau

Tea Frigerio
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11 Mars 2023

Le 3e Dim de Carême nous invite à cheminer vers le puits de Sychar, à contempler et à écouter: Jésus, la femme de Samarie.

En faisant route de Jérusalem vers la Galilée, Jésus s’éloigne d’une bonne réputation et du succès … ce chemin conduit au puits. Là, au puits de Jacob, chaque jour se rend une femme qui doit y aller pour puiser. 

Il fallait qu'il passât par la Samarie”(4,5). Non, cela n’était pas nécessaire ! Les juifs ne passaient pas par la Samarie, il préféraient une route plus longue plutôt que traverser la Samarie. Jésus devait y passer, il avait une dette à payer. 

Aller, demeurer, voir, connaitre, suivre, aimer, témoigner, annoncer…voilà les verbes du discipolat. Mais le cheminement du disciple n’est pas le simple fait d’aller. La femme allait au puits chaque jour. Elle était obligée. Pour elle, le fait de se mettre en route et aller au puits était un travail, une fatigue. Cela était sa tache obligatoire: une tache dure, lourde, toujours la même. Même ce jour là, elle y alla avec sa cruche pour puiser de l’eau. Ayant vu un homme, elle eut peur et elle se demanda : est-ce que je peux avancer ou il vaut mieux rester ici ? L’étranger pourrait s’avérer un danger, une menace. 

Lorsqu’elle était en train de s’interroger, l’homme lui demande: "Donne-moi à boire." (4,7). L’homme était juif et il demande de l’eau à boire, l’eau du bon accueil, à une femme samaritaine! Comment toi, qui es Juif, me demandes-tu à boire, à moi qui suis une femme samaritaine? " (4,9).

A partir de cela, les deux engagent une conversation. C’est un dialogue qui touche la vie personnelle et aussi la religion. La femme semble vouloir rendre moins lourde sa tache quotidienne et il se peut que le Juif lui donne un secret pour ne pas se rendre au puits chaque jour.

Quelle rencontre! Un homme, un juif, un maitre, un inconnu. Une femme, samaritaine, bien connue, sans nom. La rencontre, les questions, l’étonnement, la porte ouverte et le dialogue. Cette conversation ouvre, mieux, franchit les « frontières » anciennes et rompit les silences ataviques.

"Comment toi…me demandes-tu? ". L’homme parle en demandant, il n’est pas en train d’ordonner. Son discours est doux et humble. Qu’elle est nouvelle cette manière de parler! Il ne crie pas, point d’arrogance en lui. C’est une voix qui demande, à voix basse, un peu d’eau. 

De l’eau offerte et accueillie. De l’eau qui soulage après la fatigue du voyage. De l’eau qui apaise plusieurs types de soifs : soif d’aimer, soifs de longues routes, fatigantes, pleines de souffrances.

Soif d’espérances déçues, de rêves et d’utopies perdus. Une soif qui nait dans l’anonymat, dans la violence et l’abus. Soif d’être reconnus et de reconnaissance. Soif…et voilà l’eau vive, l’eau de la relation, l’eau qui dépasse les limites. 

On a l’impression que ce dialogue sur l’eau soit suspendu: " La femme lui dit: Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n'aie plus soif, et que je ne vienne plus puiser ici." (4,15). Et Jésus reprit la conversation: "Appelle ton mari…Je n'ai point de mari..."  (4:16-17). Ce juif veut-il entrer dans sa vie privée? La femme de Samarie ferme la porte: dans le cœur de tout homme on n’y entre que si on a la liberté de le faire. A cet homme juif, l’ennemi historique qui considère les samaritains comme une race mixte et hétérodoxe, il n’est pas permis d’y entrer, bien que cela évoque la mémoire historique de son peuple. 

Cette référence aux maris nous rappelle les divinités introduites par les Assyriens en Samarie en 720 a.C. (2 Rois 17,24.29-31). Il s’agissait de divinités étrangères qui s’inscrivaient dans un projet d’oppression, qui niaient la liberté. La sixième peut rappeler la violente imposition aux Samaritains du culte de Jérusalem (128 a.C). A l’époque, son armée avait détruit le temple samaritain au mont Gerizim. Une fois de plus, le Dieu de Jérusalem justifiait la violence, ne défendant point de liberté.

La femme eut cinq maris, elle était en train de vivre avec le sixième, est-ce qu’il y aura un septième ? Serait-il Jésus ? 

La femme change discours. Jésus se tait. C’est bien elle qui reprend la parole et elle aborde le thème de la religion. La Samaritaine fait de la théologie. La religion, en effet, était au cœur de l’inimitié : Nos pères ont adoré sur cette montagne; et vous dites, vous, que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem? Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l'adorent l'adorent en esprit et en vérité (4, 19ss).

La Samaritaine, elle comprend, elle a déjà fait l’expérience de la maternité. Si la vie peut habiter le corps d’une femme, alors ce même corps peut être habité par le Divin. La femme de Samarie comprend ce que Nicodème n’avait pas compris (Jn 3, 1-8) 

Cet homme était juif ...est-tu un prophète, le Messie?

Et voilà des mots de rencontre, de dialogue, de révélation:  "Je sais que le Messie doit venir (celui qu'on appelle Christ); quand il sera venu, il nous annoncera toutes choses. Je le suis, moi qui te parle. (4,25-26). Après la question, la révélation: Je le suis. 
La cruche est oublie, la femme ne marche plus, elle va courir. Ce qu'elle offre c'est l'annonce,le temoignage:

 "Venez, j’ai rencontré un homme! Venez, j’ai rencontré le Christ! Il m'a dit tout ce que j'ai fait." (4,39). 

Elle reste anonyme, une samaritaine, amie dans le temoignage. Annonciation.
Toute frontière, sociale, éthique, de genre, religieuse, est franchie.
Amie de Jésus dans l'annonce du Royaume, là où Dieu est "Père et veut être adoré en esprit et vérité".
Les disciples sont étonnés: "il parle avec une femme
"Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé, et d'accomplir son oeuvre.... cette nourriture vous ne la connaissez pas".  

 

Ceux qui observent sont des hommes, ils sont aveugles, la société  patriarcale couvre les yeux. 

Malgré la proximité avec le Maitre, les disciples sont encore aveugles. La Volonté du Père est celle de remettre la dette, de sauver ceux qui ont été réduit en esclavage, restaurer l'homme selon l'image de Dieu: femme-homme.
Ils ont quitté le puits, ils ont continué à marcher, tout en annonçant le Royaume, en franchissant les frontières, en dépassant les préjugées, en indiquant le chemin, en tissant des amitiés, annonçant et provoquant...

Puits: mémoire matriarcale.
Puits: travail fatiguant.
Puits: rencontre engageante.
Puits: révélation surprenante.
Puits: annonce nouveau.
Puits: témoignage communautaire.
Puits: mémoire de la femme Samaritaine.

Aujourd’hui, nous voici au puits avec la Samaritaine et avec Jésus. 

Nous pouvons nous poser quelques questions: quelle est notre soif? De quoi et de qui avons-nous soif? De quelle eau nous avons besoin? Quelle eau pouvons-nous offrir? Est-ce que nous reconnaissons les soifs des autres? L'eau qu'ils peuvent nous offrir?

Jésus, il avait soif, il avait l'eau et il la partagea.
La femme de Samarie, elle aussi elle avait soif, elle avait l'eau et elle la partagea.
L'eau a été partagée et, ensemble, ces deux eaux annoncent la nouveauté. Voilà la synodalité.